Y a-t-il de l’espoir? Une fois de plus, le gouvernement fédéral s’est engagé à donner des moyens à son personnel et à simplifier les règles afin de favoriser l’émergence d’une fonction publique plus innovante.

Les résultats dépendront en grande partie de ce sur quoi l’accent sera mis : la structure ou la culture. Le réaménagement de services et de bureaux au Conseil du Trésor témoigne évidemment d’un souci pour la structure, alors que le vrai défi a tout à voir avec la culture. L’analogie avec le cybergouvernement s’impose : plusieurs initiatives qui sont dans l’ensemble de nature structurelle, planifiées et mises en œuvre de façon rationnelle, telles que la voie de communication protégée et Service Canada, pèsent maintenant beaucoup moins lourd dans la balance que le besoin de se doter de nouvelles valeurs culturelles, un éthos qui ferait une plus grande place aux principes du Web 2.0 et à la force de la « collaboration de masse » (pour reprendre l’expression de Tapscott et Williams).   

Au chapitre de l’administration et de l’exercice du pouvoir démocratique, les démocraties parlementaires procèdent habituellement du principe traditionnel de responsabilité ministérielle (c’est le modèle gouvernemental d’office) et mettent systématiquement l’accent sur le contrôle et les communications. Et les premières victoires remportées par le cybergouvernement sur le plan de la prestation des services en ligne et de l’architecture organisationnelle ont en général eu bien peu d’incidence sur la culture sous-jacente de l’administration publique.

Par contraste, dans le contexte du Web 2.0 émergent, le gouvernement doit se faire davantage collaboratif et participatif. Le principe de la responsabilité ministérielle est fondé sur la rétention de l’information – avec une tendance corrélative à manipuler celle-ci -, alors que l’éthos du Web 2.0 comprend des notions de gouvernance qui revendiquent une ouverture et un partage accrus, un principe soutenu par l’expansion considérable des moyens de recueillir et de partager l’information, et de la transformer en un savoir utile.

Dans un monde de collaboration de masse, ce savoir et l’apprentissage qui en découle sont des aspects importants de la conception et de la prestation efficaces des services. Le défi qui se pose à tous les gouvernements consiste à doter le secteur public d’architectures souples en matière d’information et de savoir tout en facilitant la création de nouveaux modèles de gouvernance capables de s’adapter à ce que plusieurs appellent maintenant des « écosystèmes de services » (qui s’étendent d’une administration à l’autre et au-delà du champ d’action de l’État).

Dans ce type d’environnement, la centralisation constitue un handicap. C’est pourquoi les gouvernements des pays scandinaves, qui obtiennent en général de meilleurs notes dans les sondages que ceux de la plupart des autres nations, préfèrent une gouvernance plus décentralisée (tant sur le plan national qu’en ce qui à trait aux rapports entre l’État et les administrations locales) que là où la responsabilité ministérielle est de mise. Même la Nouvelle-Zélande a ouvertement adopté un modèle de gouvernance décentralisé  (quoiqu’elle ait recours à des éléments pangouvernamentaux complémentaires pour l’infrastructure commune, ce qui rappelle l’importance accordée par le R.-U. aux grappes de services partagés plutôt qu’aux solutions globales).

Il est de toute évidence nécessaire d’avoir une perspective globale, non seulement pour les gouvernements eux-mêmes, mais aussi pour l’administration d’ensemble d’un secteur public donné. Les structures communes peuvent avoir leur place lorsqu’il s’agit d’investissement, de sécurité et d’interopérabilité. Mais lorsqu’il s’agit d’exploiter la structure pour obtenir de meilleurs résultats, ce sont la flexibilité et la liberté d’innover qui comptent. Cette notion n’est pas exactement nouvelle, la possibilité de former des partenariats entre ministères et organismes s’étant avéré un facteur déterminant pour la réussite d’une prestation intégrée des services. La mise en place de tels partenariats a toutefois été assujettie à des contrôles beaucoup trop serrés.

Il convient donc de se poser la question suivante : qui devrait être chargé d’orchestrer et d’alimenter un éthos où la participation serait plus valorisée qu’à l’heure actuelle?

Et la réponse est : tout le monde – par le biais de l’intelligence collective de toute la fonction publique. Au départ, il faudra faire un réel effort pour donner des moyens aux employés et aux services dont ils font partie. Cela exigera un cadre redditionnel axé sur la performance qui encourage les ministères et organismes à expérimenter. Que ce soit par le biais d’un assouplissement de la mainmise des agences centrales ou de la création d’une instance spécialisée conçue à cette fin (un Service Canada 2.0), les initiatives des différents services devraient être soutenues par des principes d’action partagée et des mesures incitatives en ce sens. Les processus de planification centralisée devraient être abandonnés en principe, sauf lorsqu’il faut sanctionner l’inaction persistante d’un organisme ou des résultats constamment inférieurs à la normale.

Le Web 2.0 doit par-dessus tout être perçu comme une occasion de multiplier les nouveaux échanges tant au sein de la fonction publique qu’avec les interlocuteurs externes. Seule une culture axée davantage sur la participation sera en mesure de générer et de soutenir la transformation structurelle d’importance qui doit se produire.

Jeffrey Roy est professeur agrégé à l’École d’administration publique de l’Université Dalhousie (roy@dal.ca).