Une entrevue avec Morris Rosenberg, sous-ministre de Santé Canada, par David Hume.
Parlez-nous un peu de votre cheminement de carrière.
J’ai commencé ma carrière comme avocat au sein d’un cabinet. C’était un bon emploi et le cabinet avait bonne réputation, mais il me manquait quelque chose. J’ai donc décidé de faire une maîtrise en droit à l’Université Harvard.
Pendant que j’étais à Harvard, le ministère de la Justice du Canada a entrepris de recruter les Canadiens qui faisaient des études supérieures dans les universités américaines. Lorsque j’ai obtenu mon diplôme en 1979, j’ai accepté un poste au ministère de la Justice, où l’on m’a affecté à la réglementation économique et à la loi sur la concurrence, des domaines des plus stimulants à l’époque. De 1980 à 1986, j’ai eu la chance de travailler sur un nombre important de dossiers qui se sont retrouvés en Cour suprême et qui ont permis d’accroître sensiblement le pouvoir fédéral en matière de commerce. J’ai aussi fait partie de l’équipe qui a élaboré la nouvelle Loi sur la concurrence.
J’ai ensuite accédé à une série de postes tout à fait emballants – du moins pour moi. J’ai alors gravi les échelons en travaillant comme directeur avec des collègues américains sur la mise en œuvre de l’accord de libre-échange canado-américain en 1988 puis, à titre de sous-ministre adjoint, sur les dossiers de la propriété intellectuelle, des faillites et du droit des sociétés. J’ai même eu l’occasion de m’aventurer hors de mon domaine de prédilection, le droit, pour travailler dans le secteur du développement régional et économique au BCP. Je suis ensuite devenu sous-secrétaire du Cabinet, Opérations; j’ai eu à m’occuper alors des politiques économiques et sociales, ce qui m’a amené à traiter quelques-uns des dossiers les plus chauds de l’heure. C’est un réel privilège d’avoir pu occuper ce poste.
En 1998, ayant fait le tour de la fonction publique, j’ai été nommé sous-ministre à la Justice. C’était une excellente période pour travailler à ce ministère, car plusieurs des grands enjeux auxquels le gouvernement devait faire face avaient d’importantes ramifications juridiques. L’élaboration d’une réponse législative équilibrée aux attentats terroristes du 11 septembre 2001, la prise en compte de la mondialisation de la criminalité et le règlement de problèmes juridiques complexes relatifs aux Autochtones, à l’immigration et à l’égalité des droits sont quelques-uns des dossiers importants sur lesquels j’ai eu la chance de travailler.
Je suis sous-ministre à Santé Canada depuis 2004. Curieusement, les ministères de la Justice et de la Santé ont bien des points en commun. Les connaissances tant juridiques que scientifiques sont très importantes pour l’activité de l’État. Elles doivent en général faire l’objet dans les deux cas d’un processus rigoureux d’examen par les pairs. Elles ont pour caractéristique commune d’être très techniques, de sorte qu’elles doivent être mises à la portée des non-initiés si l’on veut qu’elles soient bien prises en compte dans la formulation de conseils stratégiques.
Qu’est-ce qui a changé depuis vos débuts dans le parcours d’un fonctionnaire?
Je crois que le grand défi pour un fonctionnaire qui débute aujourd’hui, est que la taille de l’administration fédérale a considérablement augmenté. Quand j’ai commencé, les ministères étaient plus petits. Cela m’a permis de rencontrer plus facilement des cadres supérieurs prêts à me guider dans mon cheminement. De nos jours, les mentors sont plus difficiles à trouver. Les ministères doivent travailler plus systématiquement à attirer de bons mentors et à donner aux nouveaux employés la chance de les rencontrer.
Par ailleurs, les programmes de formation en bonne et due forme sont de nos jours beaucoup plus rigoureux dans les ministères. Les activités de perfectionnement professionnel auxquelles les nouveaux fonctionnaires ont maintenant accès sont bien supérieures à ce qu’elles étaient lorsque j’ai commencé.
Quelles sont les perspectives les plus prometteuses dans la fonction publique actuelle?
Le grand avantage de travailler dans la fonction publique est d’avoir l’occasion de façonner l’avenir du pays et le rôle que joue l’État dans l’amélioration de la société. Or, la période actuelle offre vraiment des possibilités formidables à cet égard.
Dans les années 70, on croyait de façon générale que le gouvernement fédéral avait la solution à tous les problèmes. Ce n’est plus le cas de nos jours. La plupart des problèmes qui se posent à la population canadienne ne seront pas réglés efficacement par l’adoption de lois ou la dépense de fonds publics. On met davantage l’accent, dorénavant, sur des formes d’intervention moins directes : les partenariats, le renforcement des capacités, le partage de l’information, l’éducation et la recherche.
La possibilité qui s’offre aux jeunes fonctionnaires d’aujourd’hui est celle d’apprendre en quoi consistent ces nouvelles formes d’intervention et comment il convient de s’en servir.
Quelles sont les grandes leçons que vous avez apprises et qui pourraient être utiles à une jeune fonctionnaire?
Il s’agit en fait des raisons pour lesquelles je suis heureux d’avoir eu la chance de travailler dans la fonction publique.
Il s’agit en premier lieu de reconnaître l’ampleur, l’intérêt et la complexité du travail qui nous est offert. Tout au long de ma carrière, j’ai eu la chance de travailler sur des dossiers et des enjeux vraiment captivants. Je crois que les enjeux fondamentaux qui se posent aux gouvernements font partie des défis les plus intéressants qui soient. Dans le même ordre d’idée, on a la possibilité de changer de domaines et d’élargir ses horizons.
Il faut en second lieu souligner la chance incroyable qui nous est donnée d’avoir accès à des sommités mondiales dans différents domaines. Le fait de servir l’intérêt public permet de rencontrer des gens qui font avancer les choses au gouvernement même, dans d’autres administrations publiques, dans l’entreprise privée et dans les ONG, ainsi que de travailler avec ces personnes. On est mis en contact avec des leaders hors du commun et l’on se rend compte que certaines des figures les plus inspirantes travaillent dans un relatif anonymat sur des problèmes très localisés.
En troisième et dernier lieu, il faut prendre conscience – et c’est le plus important – qu’il est possible d’avoir une influence sur les destinées du pays, d’améliorer le bien collectif. Cela n’est pas donné à tout le monde. C’est d’ailleurs ce qui me manquait lorsque je travaillais dans le privé.
Avez-vous des conseils à donner pour réussir dans la fonction publique?
Une chose vraiment importante est de bien choisir avec qui l’on travaillera. À certains égards, c’est encore plus important que le travail lui-même. Un bon gestionnaire ou un bon superviseur trouvera des façons de vous responsabiliser et vous encouragera à aller de l’avant. J’ai eu la chance de me voir confier des responsabilités importantes tôt dans ma carrière, et mes supérieurs m’ont aidé à repérer les occasions d’avancement lorsqu’elles se présentaient. Il incombe aux gestionnaires d’« ensemencer » la fonction publique au moyen de personnes de talent.
Autant que possible, il est important d’élaborer sa propre conception du pays et de ce qu’est le Canada. Cela signifie qu’il faut aller rencontrer les Canadiens et les Canadiennes sur le terrain afin de savoir à quels problèmes