L’opération de promotion à laquelle l’Alberta s’est récemment livrée souligne les tensions et les risques inhérents aux communications gouvernementales aujourd’hui – les tensions entre l’ancien et le nouveau. Voici le contexte : la province a consacré dernièrement plus d’un an et plusieurs millions de dollars à l’élaboration d’une nouvelle image pour aider le monde à se concentrer sur quelque chose – n’importe quoi d’autre que des oiseaux englués dans les sables bitumineux. Le résultat : Alberta: Freedom to Create, Spirit to Achieve.
La première leçon de l’ère numérique, d’après certains, est que le slogan est beaucoup trop long et lourd, surtout à l’époque de twitter. Q’est ce que cela nous apprend sur notre capacité d’attention? Qu’une phrase de six mots en compte quatre de trop? En toute justice, il y a des gens (dont je suis) qui aiment ce slogan, le trouvant inspiré par l’ouverture et le savoir. Mais il est vrai qu’en fait de slogan accrocheur et concis, Supernatural BC est dur à battre.
Ce qui est encore plus révélateur est la campagne de photos et de vidéos qui accompagnait le slogan. Une image ressortait parmi beaucoup d’autres : une belle photo d’enfants en train de courir sur une plage; or, il s’est avéré que la plage en question se situe dans la région anglaise du Northumberland, où les enfants, on le présume, habitent aussi. Il a suffi d’une recherche en ligne, de quelques questions embarrassantes aux autorités et d’un article de journal pour que l’histoire fasse scandale.
En ligne, vous trouverez la vidéo ainsi que le mea culpa des responsables des relations publiques du gouvernement de l’Alberta. Mais, des excuses sont-elles vraiment nécessaires? Comme il a été souligné – par le Premier ministre de l’Alberta par exemple –, les photos avaient pour but de placer la province dans un contexte plus vaste. Elles n’ont certainement pas dérangé les gens du Northumberland (même si, hélas, on ne peut en dire autant des villes de l’Alberta qui possèdent des plages donnant sur un lac).
Il est même possible de conclure que, compte tenu de l’attention qu’elle a attirée, l’opération de promotion dans son ensemble s’est révélée un franc succès – autrement dit, un investissement très rentable! Sauf que des sommes non négligeables ont été dépensées et qu’on peut se demande si le modèle traditionnel de conception du message – achat de services professionnels, mise sur pied de comités consultatifs (internes et externes), groupes de consultation, etc. – est encore de mise?
À Radio-Canada (une institution habituée aux controverses liées à l’image de marque), Hockey Night in Canada a fait un petit pas vers l’innovation Web 2.0 en permettant aux téléspectateurs de mélanger images et musique, avec des résultats variés et parfois très impressionnants.
Alors, quelle sera la première province ou la première ville à troquer le modèle traditionnel d’image de marque pour une approche dirigée par les citoyens? On pourrait avancer que, de la production à la sélection finale, tout ce que le gouvernement a à faire est d’observer le déroulement du processus ainsi que de l’orienter et de le superviser au besoin, tout en profitant de l’intelligence collective de la société.
Toutefois, il y a évidemment tout un ensemble d’experts en communications gouvernementales – et de stratèges politiques – qui interviennent. S’il reste certainement un rôle à jouer pour les fonctions de communication traditionnelles, il serait peut-être malavisé de demander aux personnes qui ont géré les communications de façon descendante et en évitant les risques d’opter pour les principes d’ouverture et d’expérimentation qui caractérise la communication 2.0.
Les enjeux dépassent de beaucoup l’image de marque d’une administration publique. Dans un article récent du Government Technology Magazine, Jim Stanton cite un porte-parole de l’OTAN qui déplore que les groupes d’insurgés en Afghanistan soient beaucoup plus efficaces dans l’utilisation de l’Internet pour diffuser images et messages, que l’alliance militaire la plus importante et la plus sophistiquée du monde: « Ils nous bottent le c… chaque jour dans les médias » déclare ce porte-parole en termes peu diplomatiques.
On observe le même phénomène dans le cas des partis politiques qui dépensent des millions en programmes électoraux sur papier glacé, habituellement le produit d’un petit réseau de responsables de partis et de conseillers (influencés, idéalement, et dans une mesure variable, par une base de plus en plus réduite). Quel parti saura le premier élaborer ses politiques dans un véritable esprit d’ouverture et de participation (saura élargir sa base en lui donnant véritablement la parole)?
Une nouvelle mentalité de communications commence à faire son apparition dans notre paysage numérique – une mentalité axée sur le dialogue ouvert et l’inclusion. Au gouvernement, ceux qui détiennent le pouvoir ont tendance à envisager les communications comme un moyen de le préserver, en retenant l’information au lieu de la partager. À cela s’ajoutent des formes de résistance plus banales, comme les vieilles habitudes, qui ont la vie dure….
Voilà les ingrédients d’un conflit culturel qui commence tout juste à se manifester.
Jeffrey Roy est professeur agrégé à l’École d’administration publique de l’Université Dalhousie (roy@dal.ca).