Robert Louis Stevenson a déjà affirmé que « la politique est la seule profession où la formation n’est pas jugée indispensable ». Il avait tort. Même au cours des derniers siècles, alors que l’État n’avait pas la même ampleur et la même complexité, les politiciens « amateurs » et leurs partis avaient du mal à diagnostiquer les problèmes sociaux, à rallier le public à leurs idées politiques, à établir le programme d’action du gouvernement et à traduire leurs idées en mesures efficaces.

Les partis politiques mettent l’accent sur la sollicitation et la communication pour obtenir des appuis, au lieu de se concentrer sur des tâches plus ardues comme l’élaboration d’idées valables en politique publique et le renforcement des compétences nécessaires pour diriger un organisme public. En dépit des subventions généreuses qu’ils reçoivent, les partis politiques investissent peu de temps et d’efforts dans l’élaboration des politiques. Les cours sur les campagnes électorales que suivent les candidats et les programmes d’orientation de courte durée dont bénéficient les nouveaux élus ne les préparent pas à affronter les véritables défis de la vie publique. La partisanerie aveugle ainsi que le manque d’occasions valables d’acquérir des connaissances approfondies, et surtout de les appliquer de manière constructive, font en sorte que les talents de la plupart des élus ne sont pas développés ou pleinement exploités.

Pour s’améliorer dans la prestation de conseils avisés en matière de politique publique et acquérir les compétences de gestion requises pour mettre en œuvre efficacement les programmes, il existe des écoles de la fonction publique, des programmes de perfectionnement des cadres et des échanges avec le secteur privé. Les politiciens, eux, n’ont pas autant de possibilités.

L’idée d’une école de gouvernement pour politiciens soulève certaines questions, la principale étant : la politique s’enseigne-t-elle? Je crois que oui.

La National School of Government, au Royaume-Uni, et la Graduate School of Political Management, à Washington, produisent des diplômés qui pratiquent la politique avec efficacité et un plus grand souci de l’éthique, parce que ces institutions leur offrent l’occasion d’élargir leurs horizons et d’acquérir de nouvelles compétences. Ces écoles ne forment pas des doreurs d’image, des sondeurs et des manipulateurs de médias; leur objectif est de fournir aux élus une formation générale qui leur permettra de composer avec les changements rapides, l’incertitude et les questions qui suscitent la division et paraissent insolubles.

L’école proposée viserait un certain nombre de grands objectifs pédagogiques. L’un d’eux serait d’aider les politiciens à développer un sens de l’histoire, ainsi qu’à les sensibiliser aux dangers de transposer telles quelles au présent les leçons du passé. Un autre objectif serait d’aider les politiciens à penser en termes de systèmes et à mieux comprendre les relations de cause à effet complexes entre les interventions proposées et leurs répercussions potentielles sur la société. En plus d’améliorer leurs aptitudes à la réflexion stratégique et leur esprit de synthèse, les diplômés acquerraient une plus grande tolérance à l’ambiguïté et à l’incertitude. Ils adopteraient une perspective à long terme, chose que les cycles électoraux et la tendance des processus parlementaire et médiatique à se concentrer sur des questions ponctuelles rendent difficile. Ils accepteraient la nécessité de planifier, mais aussi d’improviser. La sensibilisation au potentiel et aux limites des divers instruments de politique de l’État permettrait de réduire la fréquence des échecs et des déceptions. Les tests d’hypothèses représentent une part importante de l’élaboration des politiques; les gouvernements, par essais et erreurs, tentent de découvrir ce qui fonctionne ou pas. Grâce à cette approche expérimentale, les politiciens renforceraient leurs capacités d’analyser les risques et de déterminer les éléments probants et les connaissances susceptibles de faciliter l’élaboration des politiques.

Mais il faudrait d’abord répondre à quelques questions d’ordre opérationnel. Qui serait admis dans cette école? Pour ma part, je propose qu’on offre des cours de base à tous les législateurs nouvellement élus. Les membres du cabinet et ceux du « cabinet fantôme » auraient accès à des cours visant à faciliter la prise en charge de fonctions de direction de ministère et de gestion de portefeuille. On devrait aussi créer des cours à l’intention du personnel politique – un groupe influent en pleine croissance.

Que devrait-on enseigner? Les cours porteraient sur la société et l’économie canadiennes, la constitution (incluant le fédéralisme), la Charte des droits et libertés, les principes de responsabilité ministérielle collective et individuelle, l’appareil gouvernemental (incluant le rôle de la fonction publique), les finances publiques et le processus budgétaire, les nombreuses exigences en matière de responsabilisation qui s’appliquent désormais aux titulaires de charge publique, et l’importance accrue des valeurs et de l’éthique dans la vie publique.

Outre ces cours d’ordre général, on devrait offrir aux ministres des cours pratiques et personnalisés sur l’élaboration de programmes et la direction de ministères, l’analyse des politiques et des risques, la prise de décisions pour les gens occupés, la collaboration avec les fonctionnaires, la façon de traiter avec les lobbyistes, la préparation aux activités parlementaires (périodes de questions et comparutions devant les comités), les communications et les messages politiques.

La majorité des politiciens avaient une profession avant de se lancer en politique. La plupart d’entre eux ont beaucoup d’ego, de confiance et d’ambition. Cela signifie que le « corps professoral » devrait avoir une grande crédibilité, d’excellentes aptitudes en matière de présentation et suffisamment d’assurance pour composer avec la controverse de manière à promouvoir l’apprentissage et le dialogue. Pour faire le pont entre la théorie et la pratique, il faudrait sélectionner avec soin les enseignants : anciens politiciens et fonctionnaires de grande réputation, conseillers, représentants de groupes de réflexion, spécialistes en communications, universitaires engagés dans des recherches de pointe, etc. L’approche pédagogique devrait être davantage axée sur les activités pratiques que sur les exposés magistraux – nombreuses discussions de groupe, recours aux jeux de rôles, séances enregistrées sur vidéo, analyse de cas, projets de groupe et autres. Le contenu des cours devrait aussi tenir compte de l’évolution du contexte de la fonction publique du Canada.

Les bonnes écoles mesurent leur rendement et cherchent à l’améliorer. Voici quelques-uns des indicateurs de rendement qui pourraient être utilisés :

  • la réputation de l’école et le nombre de demandes d’inscription;
  • les carrières et la réputation des diplômés quant à leur volonté de servir l’intérêt public;
  • l’atteinte d’un meilleur équilibre dans la vie politique entre, d’une part, les compétences et les techniques de persuasion de l’électorat, qu’on privilégie actuellement, et, d’autre part, les connaissances et les aptitudes requises pour gouverner efficacement et avec éthique;
  • l’émergence progressive de démarches plus systématiques, fondées davantage sur des données probantes, pour formuler les politiques publiques;
  • un respect et un soutien accru pour une fonction publique impartiale et professionnelle, qui contribue au maintien d’un gouvernement de qualité;
  • un climat moins partisan à la législature et des échanges plus constructifs entre les