Après avoir passé plusieurs années à combattre le gaspillage et à superposer de nouvelles règles administratives aux anciennes, l’administration fédérale tente maintenant de décomplexifier le « labyrinthe de règles » contraignant pour la gestion qu’elle a elle-même créé à l’ère de l’après-Gomery. Sous la pression des organismes de surveillance externes et des cadres supérieurs à l’interne, le Conseil du Trésor y va d’un effort concerté pour établir un meilleur équilibre entre le renforcement de la responsabilisation et la prestation de meilleurs services à ses groupes de clients.
En novembre, dans un geste de collaboration sans précédent, Wayne Wouters, secrétaire du Conseil du Trésor, et Sheila Fraser, vérificatrice générale du Canada, ont coprésidé une conférence sur l’innovation, le risque et le contrôle. Cette conférence d’une journée sur invitation seulement s’est déroulée sous l’égide de la Fondation canadienne pour la vérification intégrée, un organisme à but non lucratif qui vise à enrichir les connaissances en faveur de la reddition de comptes et de la gouvernance efficaces. Il s’agissait d’un premier pas en vue de modifier la trajectoire qui mène actuellement l’administration fédérale vers une surveillance accrue et une gestion axée sur la conformité aux règles.
Dans son allocution d’ouverture, M. Wouters a affirmé que la conférence visait à trouver des moyens de « réduire le nombre de règles et de processus, ainsi qu’à encourager l’innovation et la prise de risques intelligente dans nos organismes ». Mme Fraser a appuyé ces propos, en ajoutant que le Bureau du vérificateur général souhaitait également changer sa façon de fonctionner en vue d’aider le Conseil du Trésor à bâtir un milieu de travail plus novateur et plus créatif.
L’objectif à long terme est d’atteindre un juste équilibre entre la tension constante entre, d’un côté, la cohérence et un contrôle central et, de l’autre, la souplesse et la nécessité de laisser les gestionnaires gérer. Il s’agit d’un processus dynamique visant à trouver un point d’équilibre où les responsables politiques, les vérificateurs et les citoyens seront tous satisfaits du niveau de risque encouru par l’État.
Ce nouveau « rapprochement » entre les vérificateurs fédéraux et l’administration centrale montre à quel point le labyrinthe de règles est devenu un fardeau. En cette période cruciale où les citoyens exigent de l’État une responsabilisation accrue, des services améliorés et davantage de transparence et de résultats, on constate que les systèmes administratifs actuels sont périmés et que les organismes sont empêtrés dans des règles qui ont donné lieu à des obligations de rapport très lourdes et qui, surtout, nuisent à la créativité et à l’innovation dans la prestation de services aux Canadiens.
Le démantèlement d’une structure de règles devenue excessive est particulièrement important dans le contexte actuel, car les problèmes de politique publique sont plus complexes, interreliés et coûteux que jamais.
« Le fait est que le labyrinthe de règles, comme on l’appelle, nuit à la fois à la gestion responsable et à la prestation efficace des programmes. Il freine l’innovation, gruge des ressources déjà limitées et nous empêche de fournir aux Canadiens les résultats qu’ils sont en droit d’obtenir. »
À la fin de la conférence, plusieurs propositions concrètes ont été formulées :
- Réduire le nombre de règles, de processus et d’exigences redditionnelles inutiles dans les organismes centraux et les ministères afin d’alléger le fardeau redditionnel;
- Mettre en place des systèmes de saine gérance et établir clairement les responsabilités pour libérer les gestionnaires de nombreuses obligations redditionnelles;
- Encourager une culture d’innovation et de prise de risques intelligente par le biais d’une communication constante et grâce à l’appui manifeste de la haute direction;
- Promouvoir de nouveaux niveaux d’habilitation et trouver des moyens concrets de faire davantage confiance aux employés, dans le cadre du changement culturel.
Il est rassurant de constater que les coprésidents de la conférence et leurs organismes ont reconnu la gravité du problème, d’autant plus que la conjoncture économique actuelle oblige les administrations publiques à se montrer particulièrement réceptives et efficientes.
Toutefois, pour le moment, nous ne pouvons compter que sur les bonnes intentions des dirigeants actuels. Il est bien connu que les changements culturels profonds nécessitent de nombreuses années d’efforts concertés. Dans ce cas-ci, l’effort nécessaire sera considérable si l’on tient compte de la très forte culture d’aversion pour le risque qui règne à tous les paliers de la fonction publique fédérale.
À long terme, un leadership soutenu sera essentiel à la mise en place des bons régimes incitatifs qui guideront le processus de changement. Aussi, les organisateurs de la conférence ne devraient-ils pas s’arrêter au groupe de dirigeants actuels, puisque le processus s’étendra au-delà de leur mandat. Pour que leurs efforts et leurs bonnes intentions portent leurs fruits, les participants à la conférence devront absolument se tourner vers la prochaine génération de dirigeants, tenir compte de leurs idées ainsi que les mobiliser.
En outre, il faudrait inviter d’autres intervenants à participer aux discussions à venir, par exemple les médias, qui déterminent habituellement la présentation des enjeux au public, les politiciens (en particulier ceux de l’opposition), qui tendent à simplifier à l’extrême les questions et à amplifier les erreurs administratives, et les vérificateurs du gouvernement, qui doivent faire la différence entre les lacunes administratives et les véritables fraudes et déterminer clairement leur tolérance au risque.
David Zussman est titulaire de la Chaire Jarislowsky sur la gestion dans le secteur public à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’École de gestion Telfer de l’Université d’Ottawa (dzussman@uottawa.ca).