Le choix du moment n’est peut-être pas tout, mais cela contribue de temps à autre à mettre un peu de piquant dans le dossier des politiques publiques.
À titre d’exemple, mentionnons l’article sur le projet d’examen des dépenses visant les projets de TI du gouvernement fédéral qui a fait la une du Ottawa Citizen. Dans son texte, la journaliste Kathryn May décrit ce qui pourrait être un examen exhaustif des dépenses fédérales en technologies de l’information, dans le but d’aider les députés à déterminer si les milliards de dollars consacrés à ces projets sont justifiés.
Cette nouvelle a été diffusée dans la capitale nationale environ deux heures avant que nul autre que Mel Cappe – ancien greffier du Conseil privé œuvrant désormais dans le milieu des groupes de réflexion, et dont les avis à l’égard de ces questions sont généralement très respectés – ne prononce une allocution devant un parterre composé des personnes les plus directement visées par l’article du Ottawa Citizen.
« Il peut arriver que les processus redditionnels soient trop lourds, ce qui nuit grandement à la créativité et à la prise de risques », a affirmé Mel Cappe à l’occasion de l’Exposition sur la technologie dans l’administration gouvernementale, sans faire directement référence au Ottawa Citizen.
M. Cappe a quelque peu modéré ses observations en concédant qu’en fait il faut savoir prendre les risques adéquats. Mais on ne peut douter du fait qu’il soit en faveur de la gestion du risque dans le secteur public. Sa thèse, que partagent ses copanélistes Jodi White du Forum des politiques publiques et Ian Clark de l’Université de Toronto, s’inscrit en totale contradiction avec l’esprit de l’examen prévu des dépenses en TI.
Précisons que l’examen n’est pas l’initiative de fanatiques pour qui un bon bureaucrate est un bureaucrate au chômage. Il est défendu au Parlement par le député néo-démocrate Paul Dewar, connu comme un parrain des fonctionnaires qui travaillent justement à des projets de TI. « Tout le programme des TI doit être examiné », a-t-il confié au Ottawa Citizen.
En outre, l’exercice sera dirigé par Kevin Page, directeur parlementaire du budget, qui semble aborder la question avec objectivité.
« Nos consultations auprès des parlementaires ont fait ressortir leurs préoccupations au sujet des analyses de rentabilisation des grands projets d’immobilisations, dont les projets de TI. Nous comptons examiner de façon prospective les projets importants sur le plan financier et à risques élevés », a affirmé M. Page.
Il reste que l’idée selon laquelle les fonctionnaires pourraient « prendre des risques » avec les fonds publics prête pour le moins à la controverse, comme le reconnaissent même ceux qui prennent des risques. « Au gouvernement du Canada, les gens veulent éviter les risques à tout prix », d’affirmer Marj Akerley, dirigeante principale de l’information à Ressources naturelles Canada et intervenante clé dans la formulation d’un projet de TI très louangé – et risqué.
Pourtant, ceux qui établissent les règles régissant les fonctionnaires fédéraux ne craignent pas les risques. Le Secrétariat du Conseil du Trésor (SCT), par exemple, est un partisan avoué de la gestion du risque :
« La gestion du risque n’est pas une activité nouvelle pour le secteur public fédéral; elle fait partie intégrante des saines pratiques de gestion et de prise de décisions à tous les échelons. Qu’ils en soient conscients ou non, tous les ministères gèrent le risque de façon constante, parfois d’une manière très rigoureuse et systématique, parfois avec moins de précision. »
En fait, le SCT fait mention des racines de l’approche moderne du gouvernement en matière de gestion du risque énoncée dans un rapport de groupe de travail datant de 1997, qui souligne qu’il faut :
« [que] les cadres dirigeants et les employés [puissent] non seulement identifier les risques mais aussi les gérer »;« allier des approches décisionnelles plus créatives et plus axées sur les clients avec une bonne gestion du risque »;« créer un environnement où la prise de risques et les conséquences connexes sont traitées dans un cadre réfléchi de délégation, de récompenses et de sanctions ».
Quand on y pense, tout cela rend Mel Cappe moins provocateur qu’il ne le paraît si l’on se fie uniquement à l’article du Ottawa Citizen. Sans compter que cela définit le contexte dans lequel travaillera Kevin Page, directeur parlementaire du budget, lorsqu’il examinera tous ces gros projets de TI qui, à l’instar de la Voie de communication protégée, récemment tombée en disgrâce, et du nouveau et louangé GCpedia, sont risqués presque par nature. Souhaitons-lui bonne chance; il en aura besoin!