Mes amis,
Vous avez fait un bon choix. En entrant dans la fonction publique, vous vous retrouvez en plein cœur de l’action. Les années qui viennent seront excitantes et stimulantes. Les Canadiens ont raison de s’inquiéter. Nous faisons face à la pire crise économique depuis la Dépression, et l’environnement est en piteux état. Aujourd’hui, après une longue période d’hibernation intellectuelle, les Canadiens recommencent à réaliser l’importance d’un bon gouvernement. Pour une génération qui a grandi en écoutant ses parents lui répéter que tout était de la faute du gouvernement, les prochaines années seront l’occasion de rétablir la confiance et de rebâtir des ponts entre les citoyens et les gouvernements.
Nous savons que la partie n’est pas gagnée d’avance. La confiance envers les institutions publiques est à la baisse. Le taux de participation des électeurs n’a jamais été aussi bas et les Canadiens semblent tourner le dos à toutes les formes traditionnelles d’engagement politique. La partisanerie n’a plus la cote, et dans notre société hyperconnectée, les partis politiques ont perdu une bonne partie de leur raison d’être sociale d’origine.
Ce serait une erreur, toutefois, de confondre les symptômes avec la nature du mal et de conclure à l’apathie ou au désintérêt des citoyens. De nos jours, ces derniers ont plus de capacités, pas moins, et il ne faut pas s’étonner de ce que notre système de gouvernement commence à montrer des signes d’usure. Nous devons avoir assez de courage pour faire face à la réalité et assez d’imagination pour trouver de meilleurs moyens de travailler avec les citoyens, de les faire participer, de susciter leur intérêt et de tirer parti de leur capacité d’assumer un plus grand rôle dans les affaires publiques.
Contrairement à une idée reçue, non seulement les gens veulent avoir leur mot à dire, mais ils sont également prêts à se rendre utiles. Le problème n’est pas que nous leur en demandons trop, mais plutôt le contraire. Selon moi, si nous voulons que les gens aillent voter, nous devons commencer par leur donner davantage de responsabilités dans la société, par le biais de nouvelles formes de service public.
Des études américaines récentes ont établi un lien entre les formes obligatoires de service public, comme les fonctions de juré, et l’adoption de formes de participation plus actives. Il en ressort une corrélation très plausible entre l’expérience qu’une personne fait du service public et sa participation ensuite à des activités d’intérêt public, comme le fait de voter et le bénévolat.
De nombreux pays sont déjà à l’œuvre. Ils créent de nouveaux mécanismes démocratiques pour satisfaire l’appétit et l’intérêt d’un public de plus en plus sophistiqué. Le Brésil est reconnu pour ses expériences en matière de démocratie en milieu de travail, ainsi que pour ses expériences ambitieuses de gestion budgétaire participative. Le gouvernement du Royaume-Uni s’est penché sur ces expériences et est en train d’élaborer son propre modèle de gestion budgétaire participative, qu’il compte instaurer dans diverses administrations au pays. Le Danemark travaille depuis plusieurs années à la formalisation de processus de mobilisation du public qui alimentent l’élaboration des nouvelles politiques publiques.
Le Canada n’est pas en reste. Bien qu’on en ait peu parlé, les assemblées de citoyens sur la réforme électorale qui ont eu lieu en Colombie-Britannique et en Ontario constituent un nouveau mécanisme fort important pour traiter certains dossiers plus épineux. Le recours aux loteries pour sélectionner au hasard les représentants des citoyens, l’établissement de programmes d’apprentissage équilibrés et la facilitation du dialogue pour essayer d’harmoniser les points de vue divergents sont les fondements d’une nouvelle génération de processus publics qui complèteront les mécanismes déjà en place et faciliteront demain notre tâche de législateurs et de conseillers stratégiques.
Et ce n’est qu’un début. Selon moi, la prochaine série d’innovations démocratiques qui marqueront une véritable rupture émanera des travaux en cours en Colombie-Britannique avec les Premières nations non visées par un traité. Les répercussions des décisions Haida-Taku et Sparrow, qui ont établi l’obligation de consulter et le principe de l’honneur de la Couronne, sont considérables. Avec le temps, elles redéfiniront la relation entre les citoyens et l’État, et les conséquences en seront énormes pour l’ensemble des Canadiens.
Vous et moi sommes issus d’une ère de déficit démocratique : une époque de concentration du pouvoir et de baisse de l’intérêt civique et parlementaire. Nous devons maintenant nous pencher sur la façon dont la prestation des services publics et les travaux du gouvernement peuvent rapporter des dividendes démocratiques, en vue de maximiser la capacité de tous les citoyens de participer à la vie démocratique et d’exercer une plus grande influence.
Qu’en est-il du Web? Les technologies de collaboration Web 2.0 redéfinissent déjà notre façon de créer une valeur publique et de fournir des services publics. Il ne fait aucun doute qu’elles changent aussi notre façon d’élaborer les politiques.
Ces nouvelles technologies sont extraordinairement puissantes. J’ai récemment fait partie du comité qui a attribué le prix IAPC/Deloitte de leadership dans la fonction publique à un groupe qui utilise un wiki pour transformer la gestion du savoir au ministère des Richesses naturelles. En outre, en février, mon entreprise offrira aux fonctionnaires l’occasion de visionner le tout nouveau documentaire britannique Us Now, qui porte sur la collaboration de masse, le gouvernement et Internet.
Personnellement, je crois en toutes ces choses – comme je trouve ridicule le fait que la Fonction publique de l’Ontario ait banni Facebook. Il est vrai que de nombreux adeptes de Web 2.0 assimilent les principes propres aux sources ouvertes à la démocratie, ce qui est sans doute exagéré. En fait, à défaut d’être démocratiques, je pense que les collectivités à source ouverte sont très méritocratiques. C’est ce que voulait dire Linus Torvald, fondateur de Linux, quand il a déclaré : « Avec suffisamment de paire d’yeux, tous les bogues [ou erreurs de programmation] feront surface. » La difficulté réside dans le fait que la plupart des questions politiques complexes qui nous occupent ne sont pas vraiment des erreurs – ce sont des débats. Elles ne peuvent pas être résolues grâce à des solutions optimisées et techniquement élégantes.
Le classement, le triage et les systèmes à source ouverte sont des outils puissants, mais il est faux de croire qu’en agrégeant les votes, ils expriment l’essente de la démocratie. La démocratie ne consiste pas uniquement à faire participer plus de gens et à tenir des élections. Les systèmes ouverts, populistes et méritocratiques visant à exploiter davantage les idées de la population devraient bien servir les intérêts d’une société démocratique, mais je pense qu’il y a danger lorsque l’on confond les trois idées de démocratie, de populisme et de méritocratie.
Si les nouvelles plateformes technologiques nous ont appris quelque chose, c’est qu’il faut aussi continuer d’investir dans l’infrastructure traditionnelle – la « plateforme » des tables et des chaises et des compétences démocratiques de base qui font du gouvernement un point de rassemblement pour des citoyens aux opinions différentes mais aux objectifs communs.
L’Américain Daniel Yanklovich, expert en sondages, a raison d’affirmer que nous devons aller au-delà de l’opinion publique et créer les conditions qui orienteront le jugement du public. Cela signifie qu’il faut remettre en question les hyp