Au moment où s’amorce la présidence d’Obama, les spéculations vont bon train sur le genre de dirigeant qu’il sera : sera-t-il un chef dur et tranchant dans ses décisions, ou favorisera-t-il l’écoute et la consultation? La réponse à cette question, qui sera probablement assez nuancée, dépendra étroitement de la façon dont la Maison-Blanche utilisera l’infrastructure numérique qui s’est révélée si importante durant la campagne électorale.

Il y a deux idées fausses qui circulent au sujet de l’accession au pouvoir du président Obama : la première est que son ascension s’est faite rapidement et la deuxième, qu’il a bénéficié d’un traitement de faveur dans les grands médias, lesquels auraient souvent délaissé leur esprit critique habituel pour tomber dans l’adulation.

La première idée fausse est attribuable à la victoire quelque peu surprenante d’Obama aux caucus de l’Iowa le 3 janvier 2008. Pourtant, l’équipe de campagne du président sait très bien que cette victoire n’a pas été le fruit du hasard, mais bien le résultat d’un effort méthodique, collectif et concerté de plusieurs mois qui visait à mobiliser les partisans dans tout l’État. Il en a été de même à l’échelle nationale – et le charisme d’Obama a fait le reste. Cet effort de deux ans a reposé principalement sur un vaste mouvement de collaboration qui, lentement mais sûrement, a suscité l’intérêt et l’appui du public.

Au début, les médias traditionnels (c.-à-d. la télévision et les journaux) ont accueilli Obama avec sympathie mais aussi avec scepticisme. Dès le départ, de nombreux spécialistes avaient déclaré Clinton invincible, en partie du fait de leur plus grande familiarité avec son modèle de campagne fondé sur la communication et le contrôle (pourtant, sentant l’intérêt que suscitait l’approche nouvelle d’Obama, Hillary Clinton avait lancé sa campagne en ligne en invitant les Américains à une « conversation » nationale).

Au départ, Clinton était reconnue pour sa connaissance approfondie des dossiers, alors qu’Obama demeurait une figure plutôt floue – un visionnaire inspiré, certes, mais peu porté sur les détails. Cette différence de style a beaucoup joué, permettant à Obama de mieux se positionner à titre d’agent de changement, prêt à collaborer avec tous les partis et à transcender les barrières idéologiques. Le pragmatisme et la souplesse ont été présentés comme les vertus d’une nouvelle manière de gouverner.

En outre, quand l’ancien pasteur d’Obama est entré en scène avec ses violentes diatribes, les médias traditionnels ont vivement réagi. Or, Obama a répondu par un discours de près de 40 minutes sur la race qui, bien que dépourvu d’arguments percutants, a su toucher un vaste éventail de citoyens engagés qui se sont montrés plus réfléchis que la plupart des journalistes. À la suite de cet épisode, le vent a tourné et la télévision et les journaux ont rapidement baissé le ton (en particulier lorsqu’ils ont constaté que cela n’avait aucunement miné la popularité d’Obama).

Au sujet de la politique et du leadership dans une société numérique, la grande question qu’il faut se poser est la suivante : une fois au pouvoir, le nouveau président sera-t-il en mesure de mettre en pratique une approche soutenue, plus discursive et axée sur la collaboration? Dans les domaines tels que les soins de santé, la situation s’annonce prometteuse – le secrétaire à la Santé et aux Services sociaux, Tom Daschle a lancé une discussion en ligne au sujet des problèmes et des réformes, et ce, avant même d’entrer en fonction.
 
En fait, le mouvement Obama concorde en grande partie avec les principes fondamentaux de la gouvernance numérique que soulignent Tapscott et William quand ils évoquent la collaboration de masse comme fondement du gouvernement 2.0. Clay Shirky formule un message semblable dans son dernier livre, Here Comes Everybody – The Power of Organizing Without Organizations. Le succès de la campagne de financement menée par Wikipedia en décembre 2008 est un autre témoignage du pouvoir de l’engagement collectif et de la participation directe du public.

Néanmoins, à cause de la situation économique difficile et des crises en cours et à venir aux États-Unis et à l’étranger, le président n’aura pas d’autre choix que de se montrer ferme dans ses décisions. Tel est le grand défi des dirigeants de notre époque : trouver l’équilibre entre la prise de mesures décisives et claires, et l’établissement de mécanismes de consultation qui tiennent compte de la complexité et de l’incertitude.

Le premier élément caractérise la pratique traditionnelle de la politique et de sa communication; Internet est devenu un moyen de mobiliser les partisans et de façonner l’opinion publique. Quant à l’établissement de mécanismes de consultation, il s’agit d’un processus en cours, qui repose sur l’apprentissage collectif et un sain raisonnement, ainsi que sur la proposition très risquée sur le plan politique selon laquelle la réponse n’est pas toujours connue d’avance. Pour l’instant, la réalité est que le président Obama a le charisme et la confiance nécessaires pour adopter la méthode de son choix : faire preuve de fermeté et utiliser les plateformes numériques pour communiquer ses idées et mobiliser l’opinion en sa faveur; ou inviter les Américains à dialoguer et à collaborer en ligne et à participer à des activités en temps réel.

La pression des médias traditionnels en faveur de la première option est énorme. Quant à la seconde option, les concepts d’apprentissage sociétal et de gouvernance novatrice sont prometteurs, mais ils n’ont pas encore été véritablement éprouvés. Les risques et les avantages restent à découvrir. Ce qui est certain, c’est que les choix du président Obama à cet égard auront une grande influence sur la pratique de la politique à l’ère numérique.

Jeffrey Roy est professeur agrégé à l’École d’administration publique de l’Université Dalhousie (roy@dal.ca).