La fonction publique de demain sera assurément différente de celle d’aujourd’hui, et ce, au sein de tous les ordres de gouvernement. Les dirigeants de la fonction publique devront composer avec de nouvelles organisations, et acquérir de nouvelles compétences. Le rédacteur en chef Toby Fyfe s’est entretenu avec l’homme qui pilote le changement au sein du gouvernement fédéral, Wayne Wouters, greffier du Conseil privé, pour discuter de ses attentes à l’égard de l’avenir.

Dans l’ère de changement que nous connaissons actuellement, quelles sont selon vous les qualités de leader essentielles d’un haut fonctionnaire du gouvernement?

Nous vivons dans un monde très complexe. Les enjeux de politique publique d’il y a 30 ans, lorsque je suis arrivé au gouvernement, sont aujourd’hui beaucoup plus subtils et multidimensionnels. Les leaders d’aujourd’hui doivent donc reconnaître que bien qu’ils possèdent une bonne connaissance et une vaste expérience du secteur public, ils n’ont pas nécessairement toute l’information et, parfois même, la capacité d’analyse requises.

Les leaders doivent donc être compétents et souples, voire agiles, et être disposés à collaborer. Si je devais choisir un mot pour définir les nouveaux leaders, ce serait « collaboratif », car aujourd’hui, il faut quitter notre zone de confort et entreprendre des discussions avec les gouvernements provinciaux, le secteur privé, les organisations bénévoles et la société civile.

Le fait est qu’Internet a tout changé. Non seulement les fonctionnaires d’il y a 20 ans étaient-ils responsables de la capacité d’analyse du gouvernement, ils étaient également les gardiens du savoir et de l’information. Aujourd’hui, l’information est partout. Le leader ou le ministre responsable d’un dossier, comme par exemple la pauvreté en milieu urbain, peut utiliser l’information mise en ligne par des gens de partout dans le monde vivant la pauvreté urbaine, et remettre en question les conseils des fonctionnaires. Nous ne sommes plus les gardiens absolus du savoir, mais nous devons néanmoins prodiguer des conseils réfléchis et impartiaux. Nos élus comptent sur nous pour les tenir au courant, et notre leadership doit assurer le maintien de notre capacité à servir.

Vous laissez entendre qu’il y a des lacunes au chapitre des capacités stratégiques et analytiques dans la fonction publique. Ces compétences doivent-elles être rétablies?

Je ne dirais pas qu’il y a des lacunes en ce qui concerne les capacités stratégiques et analytiques dans la fonction publique. Je crois qu’en raison de la nature de la fonction publique, nous avons plutôt agi de façon indépendante. Nous omettons parfois de tenir compte de bonnes analyses ou des travaux judicieux effectués ailleurs.

Le modèle que je propose veillerait à ce que les travaux d’autres parties soient pris en compte dans nos analyses. Étant donné l’ampleur et la portée de nos responsabilités, je crois toujours que notre capacité d’analyse est bonne, et que nous avons une bonne base de connaissances et une expertise en raison de nos activités à l’échelle nationale. À ce dernier égard, nous nous débrouillons probablement mieux que n’importe quelle autre organisation. Contrairement à une entreprise privée, nous ne faisons pas la promotion d’un seul enjeu. De plus, notre impartialité fait que nous pouvons examiner les enjeux différemment. Je crois que ces caractéristiques de la fonction publique qui ont toujours été sont encore pertinentes aujourd’hui.

Dans le Dix-huitième rapport au Premier ministre sur la fonction publique du Canada, vous écrivez que des progrès mesurables ont été réalisés en ce qui a trait aux quatre piliers de la fonction publique du Canada. Comment peut-on soutenir le renouvellement en période de compressions?

Beaucoup de fonctionnaires se posent cette question. Je crois que nous avons fait des progrès considérables au chapitre du renouvellement. Je dirais qu’en période de restrictions budgétaires, le renouvellement est encore plus important. Il faut considérer l’exercice comme si le renouvellement se faisait grâce aux restrictions, et non malgré elles. La nature de l’effectif change, et nous savons tous combien il est important de maintenir le cap.

Le recrutement a donné de bons résultats. En 1995, nous avons fait l’erreur de stopper complètement le recrutement, ce qui a créé un énorme fossé dans notre effectif. C’est pourquoi le recrutement continu est essentiel; il s’agit d’un des piliers du renouvellement de la fonction publique. Nous devons continuer de recruter, mais nous devons faire des choix ciblés et éclairés.

Les compressions pourraient se traduire par un départ plus important de fonctionnaires. Nous devons donc réfléchir au type de fonction publique que nous souhaitons dans le futur. Sa composition sera-t-elle pareille à celle des 20 dernières années? J’en doute. Nous visons dans l’ensemble un plus haut niveau de connaissances, et peut-être un volet administratif moindre. L’un des plus importants piliers c’est probablement le renouvellement du milieu de travail, car, à mon avis, si nous avons moins de ressources, l’occasion est idéale de trouver des moyens de travailler plus efficacement.

Il a été dit qu’à l’avenir, la fonction publique devra mobiliser et déplacer rapidement le personnel compétent, au besoin. Faudra-t-il repenser notre façon de gérer les ressources humaines?

En ce qui concerne les travailleurs du savoir de la fonction publique, la combinaison est la clé. Nous avons besoin d’employés qui, grâce à leurs connaissances de base et à leur expérience, assureront la continuité dans leur ministère. Nous ne les déplacerons pas nécessairement puisqu’ils sont là en raison de leur expérience, de leur savoir et de leurs antécédents. Mais nous avons également besoin de travailleurs du savoir que nous pourrons affecter aux dossiers complexes, qui sauront relever les grands défis stratégiques auxquels nous sommes confrontés, et fournir la rigueur et l’appui nécessaires.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes professionnels qui, confrontés à cet exercice de réduction du déficit, se disent : « Je ne pensais jamais avoir à vivre cela. »?

Je crois que les fonctionnaires de tous les niveaux ont été très chanceux d’avoir connu des surplus pendant les 10 à 15 dernières années. Lorsqu’il y avait un problème, généralement les ressources ne tardaient pas à venir. Aujourd’hui, tous les fonctionnaires, notamment les hauts fonctionnaires, devront mener à bien leurs responsabilités dans un contexte de restrictions, donc avec moins de ressources. Ils devront penser différemment. Autrefois, le rôle des gestionnaires était de maintenir leur budget, ou de le faire augmenter. Mais ils devront changer leur façon de voir les choses. Désormais, ils devront se demander : « Puis-je faire la même chose avec moins de ressources? », « Y a-t-il une meilleure façon de faire? ». C’est ce genre de réflexions que nous devons préconiser. Et nous devons reconnaître les efforts des leaders qui soumettent ce genre d’idées.

Nous pouvons tout faire. Je demeure convaincu que nous pouvons travailler dans n’importe quel milieu. Je dis donc : arrêtez-vous, réfléchissez à la situation actuelle, et ajustez votre façon de penser et de travailler pour répondre aux exigences du présent gouvernement.

Qu’entendez-vous par « mobilisation accrue des employés au programme d’excellence »?

Cela fait partie du même message : l’excellence aujourd’hui signifie que nous devons continuer de nous adapter et d’innover étant donné les défis qui se présentent à nous pour ce qui est d’offrir des services et de prodiguer des conseils aux ministres. Il faut prendre des risques lorsque cela est possible, et laiss