Le problème actuel n’est pas seulement le départ à la retraite prochain des dirigeants : ce sont en fait tous ceux et celles qui se trouvent aux quatre échelons supérieurs de la hiérarchie, de directeur à sous-ministre, qui vont bientôt tirer leur révérence en grand nombre. Ainsi, le processus normal d’ascension – de directeur à directeur général, puis à sous-ministre adjoint et enfin sous-ministre – ne sera plus suivi, parce que tous les fonctionnaires situés à ces niveaux prendront leur retraite simultanément au lieu de combler les postes vacants aux échelons supérieurs.
Les administrations publiques devront donc se tourner vers la génération Y, dont les premiers membres auront 31 ans cette année, pour commencer à pourvoir à ces postes vacants au cours des cinq à dix prochaines années. Les titulaires de ces postes seront donc beaucoup plus jeunes que leurs prédécesseurs. Au cours des trois prochaines années, 40 pour cent des hauts fonctionnaires fédéraux seront admissibles à la retraite. Ils ne quitteront pas tous leur emploi, mais le départ de la moitié d’entre eux sera suffisant pour créer un écart appréciable.
Cette situation offre une belle occasion de remodeler le profil des dirigeants en fonction de la prochaine génération. La question est de savoir quel devrait être ce profil.
L’environnement aura grandement évolué à la suite des énormes changements qui ont marqué les 20 dernières années et qui continueront de façonner la fonction publique – mondialisation, percées dans le domaine des technologies de l’information, Web 2.0, dimension internationale de presque tous les postes, rapidité des communications, obligation de réagir plus vite. Le public canadien a des attentes élevées en ce qui a trait à la qualité et à la réactivité des services gouvernementaux. Le souci de responsabilisation et une baisse de confiance se traduisent par une transparence accrue, une meilleure reddition de comptes et une plus grande importance accordée au rapport qualité-prix.
L’effectif actuel compte davantage d’employés nommés pour une période déterminée, d’occasionnels et de contractuels. De nombreuses tâches nécessitent la participation de plus d’une unité de travail. On valorise désormais beaucoup la capacité de gérer les personnes et les relations. L’aptitude à dégager des consensus devient plus importante en raison de la diversité accrue des intervenants. Enfin, le travail interdisciplinaire prend davantage d’importance, ce qui exige des gestionnaires qu’ils aient des capacités en relations interpersonnelles leur permettant d’appuyer le travail de personnes dont les méthodes de résolution de problèmes et de prestation de services sont différentes.
Les dirigeants de la nouvelle génération sont très différents de ceux qu’ils remplacent. Ils aspirent à des possibilités d’apprentissage permanent et à une progression rapide dans l’organigramme; ce sont des adeptes des interactions et des technologies Web. Toutefois, leur mode de vie leur importe tout autant que leurs défis professionnels. Ils s’attendent à participer activement aux décisions qui les touchent et, par conséquent, sont moins déférents envers l’autorité que l’étaient leurs prédécesseurs.
Compte tenu des nouveaux défis que pose la gestion de la fonction publique, les dirigeants actuels sont confrontés à plusieurs choix stratégiques intéressants qui tournent autour du recrutement et du maintien en poste de nouveaux employés appartenant pour la plupart à la génération Y. La bonne nouvelle est que de nombreuses administrations publiques ont lancé des programmes de recrutement novateurs pour attirer de nouveaux cadres. À titre d’exemples, mentionnons le programme Jeunesse et nouveaux professionnels du gouvernement de l’Ontario et le programme Where Ideas Work de la Colombie-Britannique, qui sert de point d’entrée dans la fonction publique provinciale. Le gouvernement fédéral compte sur son Programme de recrutement de leaders en politiques et sur canada@150 pour recruter de nouveaux professionnels à potentiel élevé.
En outre, il faut trouver de nouvelles façons de perfectionner les compétences techniques dont les employés ont besoin pour maîtriser leur poste et, tâche beaucoup plus difficile, de transmettre les valeurs et les objectifs globaux de l’administration publique à une génération ayant une vision différente du monde du travail.
Pour le moins, les administrations publiques devront être plus explicites au sujet de leurs attentes et instaurer un milieu de travail doté d’une mission claire et suscitant un fort sentiment d’appartenance, au sein duquel on récompense le rendement et l’on s’attaque aux résultats insuffisants dans l’intérêt de l’unité de travail.
Les cinq prochaines années, le perfectionnement de la prochaine génération de jeunes cadres du secteur public constituera l’une des plus importantes activités de la fonction publique. Le passage d’une génération à l’autre doit être réussi si l’on veut pouvoir continuer à fournir aux Canadiens et aux Canadiennes des politiques publiques efficaces et des services de grande qualité.
David Zussman est titulaire de la Chaire Jarislowsky sur la gestion dans le secteur public de l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’École de gestion Telfer, à l’Université d’Ottawa (dzussman@uottawa.ca).