Une étude récente commandée par l’OCDE conclut que, malgré le fait louable que le secteur public oriente aujourd’hui la gestion de la performance sur l’obtention de résultats et, notamment, sur la qualité des services, les gouvernements des quelque 80 régimes démocratiques qui existent dans le monde ne semblent pas répondre aux attentes des citoyens.

Dans un examen des régimes gouvernementaux de gestion de la performance au Canada, en Nouvelle-Zélande, aux États-Unis et au Royaume-Uni, Paul Thomas affirme que, si des avantages indiscutables découlent de l’utilisation des pratiques de gestion de la performance, lesdites pratiques n’ont généralement pas produit des résultats à la hauteur des attentes. Selon Thomas, ces pratiques sont souvent séduisantes sur papier, mais il est difficile de les mettre en œuvre dans le secteur public de manière à obtenir des résultats concrets, si petits soient-ils.

Quels sont les obstacles à la mise en œuvre? Nous entendons non pas formuler des solutions, mais soulever quelques questions pour tenter de comprendre pourquoi cette mise en œuvre est difficile, et inviter les lecteurs à trouver leurs propres réponses ou, mieux encore, à trouver des exemples de mises en œuvre réussies.

Il convient en premier lieu de définir la « gestion de la performance » (GP) et sa relation avec la mesure de la performance. Dans le présent contexte, la GP désigne un cycle d’activités de gestion comprenant la planification (établissement des objectifs), la mesure des résultats et l’utilisation des mesures obtenues pour évaluer le degré de réalisation des objectifs, examiner les problèmes ou les pistes prometteuses en matière d’exécution et apporter des changements afin d’améliorer les résultats tant opérationnels que stratégiques. Par conséquent, la mesure de la performance contribue à la GP; elle n’est pas une fin en soi.

Le cycle de GP peut s’observer au niveau organisationnel – on parle alors de GP globale ou d’entreprise – et au niveau individuel – il est alors souvent question d’établissement des objectifs, d’appréciation de la performance et d’évaluation du rendement. Les deux cycles sont de toute évidence liés, puisque la performance de l’entreprise dépend toujours de celle des individus qui la composent. Par conséquent, la mise en œuvre dont il est question dans le présent article désigne celle du cycle complet aux deux niveaux.

Mise en œuvre interrompue
À l’instar de Paul Thomas, nombre de ceux qui se prononcent sur l’efficacité des pratiques de GP dans le secteur public vous diront que la mise en œuvre laisse à désirer. Dans les faits, la plupart des administrations publiques ont créé des cadres et des modèles très poussés pour la planification et la mesure des résultats. Les problèmes surviennent à la 3e étape du cycle, lorsqu’il s’agit d’utiliser les mesures de la performance pour améliorer la prestation des programmes.

Un examen rapide des régimes de gestion du secteur public dans les pays démocratiques permet de constater qu’il existe dans presque tous les cas une multitude de cadres et de modèles pour établir les objectifs stratégiques, mesurer la performance et rendre compte des mesures, et procéder aux évaluations de programmes et autres vérifications permettant d’examiner la valeur créée par les programmes qu’offrent les ministères et organismes publics.

Le problème tient donc moins à la mise en œuvre elle-même qu’au caractère incomplet du processus dans lequel elle s’inscrit; les activités de planification, de mesure et de production de rapports abondent, mais il est permis de se demander si les renseignements découlant des mesures servent vraiment à améliorer la prestation des programmes.

Par exemple, une récente enquête effectuée au Canada auprès de 117 sous-ministres et administrateurs principaux a révélé que seulement 17 % des sondés se servaient des mesures de la performance pour prendre des décisions clés. Les résultats de l’enquête ont été à peine meilleurs (23 %) chez les quelque 500 membres de l’Institut d’administration publique du Canada qui ont été interrogés.

De façon similaire, dans une étude de cas effectuée auprès de deux organismes publics importants du Royaume-Uni, Zoe Radner et Mary McGuire ont constaté que les gestionnaires n’avaient que peu recours à l’information sur la performance, et ce, peu importe la qualité apparente de cette information. Les gestionnaires attribuaient cette situation à un trop-plein d’information – la plupart d’entre eux avaient déjà trop de rapports, d’examens, de demandes d’approbation et de présentations à préparer ou à examiner pour pouvoir prendre le temps d’assimiler les renseignements se trouvant dans l’un ou l’autre des documents.

On assiste à un phénomène semblable pour l’évaluation des programmes. Une enquête et une étude de cas multiples effectuées récemment par l’un des auteurs au sujet de l’utilisation des résultats des évaluations de programmes dans la fonction publique canadienne ont permis de constater que les évaluateurs et les usagers du secteur gouvernemental affichaient une moins grande capacité à se servir des résultats et des conclusions des évaluations que ceux du secteur sans but lucratif. Cela pourrait être attribuable à une culture d’apprentissage déficiente, à une remise en question de la crédibilité et du caractère actuel des résultats, ainsi qu’au fait que les gestionnaires ne s’approprient pas les résultats des évaluations.

Pour finir, une enquête effectuée récemment auprès de 80 organismes du secteur public a fait ressortir les trois obstacles principaux à la mise en œuvre des pratiques de gestion de la performance : la culture organisationnelle, le manque d’intégration entre le niveau stratégique et le niveau opérationnel, et l’intégration déficiente des différents outils utilisés pour mesurer la performance.

Les résultats de ces enquêtes viennent appuyer l’assertion selon laquelle, si les organismes gouvernementaux ont investi des ressources considérables dans la mesure de la performance, les résultats obtenus sont très peu utilisés pour alimenter l’apprentissage continu et améliorer la prestation des programmes.

Obstacles à la mise en œuvre
Quels sont donc les obstacles à une mise en œuvre efficace? La figure 1 illustre les trois principaux obstacles cernés par des chercheurs et des praticiens d’horizons divers : le manque d’intégration entre les différents niveaux de l’organisme, la culture organisationnelle et l’environnement politique dans lequel la plupart des organismes du secteur public évoluent.

1. Le manque d’intégration
La figure 1 représente un organisme type composé de trois niveaux. Le niveau stratégique s’emploie à définir les enjeux stratégiques, à obtenir les ressources nécessaires et à faire rapport sur les résultats à l’échelle ministérielle. Le niveau des programmes a son propre cycle de GP, comme c’est le cas pour le niveau auquel s’effectue la gestion des ressources. Très souvent, chaque niveau doit répondre à des parties concernées différentes en produisant des plans et des rapports de performance différents. Cela entraîne un travail considérable à l’interne. Aussi nombre d’organismes relativement importants confient-ils souvent les fonctions de planification et de production de rapports à des groupes spécialisés dans les services communs afin d’être en mesure de produire à temps les innombrables rapports exigés par les parties concernées.

Ian Clark et Harry Swain ont d’ailleurs fait valoir que le cycle de planification et de production de rapports au niveau stratégique frôle le surréalisme dans la mesure où il vise davantage à répondre aux exigences des organismes c