Au cours des derniers mois, de nombreux fonctionnaires fédéraux ont dépoussiéré leurs vieux textes de politique publique afin de trouver des réponses à certaines des questions les plus complexes auxquelles ils auront à faire face durant leur carrière, des questions soulevées par la crise économique qui touche le pays.

Actuellement, les conseillers stratégiques se trouvent dans une situation tout à fait exceptionnelle, à laquelle ils se préparent depuis des années mais qu’ils ne croyaient jamais rencontrer durant leur carrière. Même si les enjeux sont particulièrement élevés et que les conséquences de leurs décisions sont de portée nationale, les conseillers stratégiques continuent de suivre les principes qui régissent le travail de tous les conseillers oeuvrant dans le secteur public fédéral.

À la base, la fonction de conseiller stratégique requiert un ensemble complexe de compétences qui comprend, entre autres, les capacités d’analyse et les aptitudes interpersonnelles. En 1979, Aaron Wildavsky écrivait que le conseil stratégique était l’art et la manière de « dire la vérité aux autorités ». Ce qu’il voulait dire, c’est que les fonctionnaires ont l’obligation envers leurs maîtres politiques de leur présenter la réalité sans fard en se fondant sur les analyses les plus justes et les plus rigoureuses possible compte tenu du temps et du budget disponibles.

Dans ces conditions, l’analyse stratégique et la prestation de conseils aux politiciens sont des disciplines très exigeantes. Pour réussir, il faut croire en ses idées, être capable de faire des choix et avoir l’instinct de survie. Cela est particulièrement le cas lorsque les fonctionnaires doivent fournir des conseils qui ne seront pas bien reçus sur le plan politique. Songez, par exemple, au risque que court le fonctionnaire qui recommande une solution allant à l’encontre d’un choix politique que le gouvernement s’est déjà engagé publiquement à mettre en œuvre.

Même si le rôle des gouvernements a beaucoup changé au fil des années, la définition de la « franchise envers les autorités » est demeurée la même. Ce qui a changé, c’est la façon dont les politiques publiques sont élaborées et la relation entre les politiciens et la fonction publique. Il y a vingt-cinq ans, par exemple, la fonction publique canadienne était discrète et anonyme, et constituait la source principale et incontestée de conseils stratégiques. Ainsi, les fonctionnaires pouvaient être francs avec leurs maîtres politiques en sachant que leurs conseils resteraient confidentiels.

Aujourd’hui, la situation a changé énormément en raison d’au moins deux facteurs importants. Premièrement, le nombre d’intervenants qui participent à la prestation de conseils et au processus décisionnel est plus grand que jamais. Le nombre de conseillers politiques ne cesse d’augmenter, et bon nombre d’entre eux travaillent hors de la structure officielle du gouvernement. En outre, les experts indépendants issus des groupes de réflexion ou d’autres groupes d’intérêt offrent des points de vue différents et sont prêts à contester publiquement les choix stratégiques du gouvernement. L’évolution du Canada a également incité les conseillers stratégiques à s’intéresser à un éventail plus vaste d’options stratégiques afin de tenir compte des valeurs diverses des Canadiens. Tout cela a contribué à retirer à la fonction publique le rôle exclusif qu’elle jouait auparavant.

Deuxièmement, au cours de la dernière décennie, les fonctionnaires ont fait l’objet d’une surveillance accrue en raison de l’évolution du principe de responsabilisation dans la société, en particulier depuis l’adoption au niveau fédéral de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, de la Loi fédérale sur la responsabilité, de la Loi sur l’accès à l’information, ainsi que de l’utilisation des rapports du vérificateur général à titre de documents de responsabilisation. Prises dans leur ensemble, ces mesures ont poussé les hauts fonctionnaires à sortir de l’ombre en les obligeant à rendre compte publiquement de toutes les activités relevant de leur champ de responsabilité.

Comme si cela n’était pas suffisant, l’expansion du rôle des organismes sans but lucratif dans la mise en œuvre des programmes, l’émergence de nouveaux mécanismes de prestation de services (dont les partenariats) à titre d’options viables pour les gouvernements, la déréglementation et la libéralisation continues des marchés, et la nécessité de tenir compte de la dimension transversale dans l’élaboration des politiques ont également contribué à rendre plus complexe le domaine de la politique publique.

En raison de ces changements, l’administration publique n’est maintenant qu’un acteur parmi d’autres dans le monde de l’élaboration et de la prestation des politiques publiques, où elle partage désormais la scène avec les autres gouvernements et les secteurs à but lucratif ou sans but lucratif. Il est rare de nos jours qu’un ordre de gouvernement soit l’intervenant dominant ou unique dans un secteur stratégique.

Pour s’adapter aux changements radicaux apportés au processus, le secteur public a décidé de collaborer avec des sources externes et alternatives de conseils stratégiques et a appris à partager avec d’autres intervenants l’information dont il dispose.

Cependant, tout ne fonctionne pas à la perfection.
D’abord, alors que les travailleurs les plus âgés prennent leur retraite, la fonction publique peine à maintenir son expertise en matière de conseil stratégique.Ensuite, les unités de politique publique semblent accorder beaucoup trop de temps à la gestion du processus aux dépens des questions de fond.Troisièmement, la plus grande facilité d’accès du public aux conseils stratégiques fait qu’il est plus difficile de fournir des avis confidentiels sans risquer qu’ils fassent la une du journal local dans les jours qui suivent.Enfin, il semble y avoir moins d’intérêt à dire la vérité aux autorités en raison du climat extrêmement partisan qui caractérise souvent les gouvernements nouvellement élus et qui règne actuellement à Ottawa.
En fait, la prestation de conseils stratégiques empreints de franchise au gouvernement pourrait être en péril à cause de l’orientation politique intransigeante adoptée et de la pression découlant du fait que les hauts fonctionnaires doivent rendre compte de leurs actes sur la scène publique.

Le principe de la franchi