Dans son budget de lutte contre la récession (et d’économies dans la fonction publique), le gouvernement Harper a prévu une série de dépenses sans précédent dans un vaste éventail de secteurs. En réponse, Michael Ignatieff a annoncé qu’en dépit des nombreuses lacunes du budget, les libéraux ne vont pas faire tomber le gouvernement lors d’un vote de confiance, mais plutôt l’obliger à rendre compte de la mise en œuvre de ses objectifs de programme.

Pour ceux et celles qui ont suivi les efforts visant à faire de la mesure du rendement une  responsabilité parlementaire, la promesse de M. Ignatieff de tenir trois séances de reddition de comptes au Parlement au cours de l’année à venir constitue une belle surprise. On peut se demander si cette initiative est habile sur le plan politique, mais elle introduit clairement un élément important, soit de soumettre les dépenses publiques à un examen public plus approfondi.

Bien que le Canada ait tenté à de nombreuses reprises de mesurer le rendement du gouvernement (la plupart du temps à la demande du vérificateur général), il n’a généralement pas réussi à lier le rendement à un régime de reddition de comptes. Par exemple, en 1995, le Conseil du Trésor a lancé une nouvelle publication intitulée « Rendre compte aux Canadiens », qui établissait des liens entre 18 indicateurs de rendement et l’éventail complet des activités de l’administration fédérale. Cet effort annuel vise à aider les parlementaires et les citoyens intéressés à évaluer la mesure dans laquelle les divers programmes fédéraux contribuent à l’amélioration de la qualité de vie des Canadiens au regard des indicateurs de rendement choisis.

Toutefois, cette initiative a suscité peu d’intérêt, même de la part du Comité des comptes publics, dirigé par l’opposition, qui pourrait faire une utilisation très efficace de ces renseignements.

On ne peut pas s’attendre à ce que, dans les délais serrés qu’Ignatieff a imposés à Harper, le gouvernement puisse démontrer, résultats à l’appui, que les mesures budgétaires font la différence. Par contre, on peut s’attendre à être en mesure de vérifier si le gouvernement a mis en place des mécanismes permettant de démontrer, à la satisfaction du Parlement, que les milliards prévus servent à aider ceux qui sont admissibles à un financement.

En cette période de récession, les trois paliers de gouvernement doivent résister à la tentation de dépenser des fonds sans d’abord mettre en place des systèmes permettant de s’assurer que l’argent est bel et bien remis aux bénéficiaires admissibles. Compte tenu des conditions actuelles, la possibilité qu’on assister à une débauche de dépenses inefficaces est tout à fait plausible.

L’urgence de dépenser rapidement, la pression exercée par les groupes d’intérêt pour accélérer le processus d’approbation (et minimiser la surveillance), le besoin légitime de venir en aide aux citoyens qui ont besoin d’un soutien immédiat, le consensus général selon lequel la solution réside dans des dépenses publiques massives, et la faiblesse des systèmes de gestion financière en place (que le gouvernement actuel a omis de mettre à niveau à plusieurs reprises) ont engendré un contexte propice au gaspillage.

Si l’on se fie aux expériences semblables où il a fallu agir rapidement, ce budget pourrait donner lieu à de mauvaises décisions en matière de dépenses, ainsi qu’à des cas de gabegie, à moins que des mesures ne soient prises pour atténuer les risques.

Quand un gouvernement simplifie les procédures pour agir plus rapidement, il s’expose inévitablement à des faux pas. Et les partis d’opposition exploitent ces erreurs pour obtenir des gains politiques. Souvenez-vous du « scandale du milliard de dollars de DRHC » en 2000, survenu dans le cadre d’un programme de subventions et de contributions. Ce programme, qui était relativement simple à exécuter, a failli déstabiliser le gouvernement Chrétien et, surtout, il a accaparé une grande partie du temps du Parlement, alors que l’opposition jouait avec les carrières des fonctionnaires et des ministres.

M. Ignatieff a raison d’affirmer que le problème relève de la reddition de comptes. Toutefois, compte tenu du peu de temps disponible, les efforts devront se limiter à obliger le gouvernement à rendre compte de ses actes, et à s’assurer qu’il « fait bien les choses » et non qu’il « fait les bonnes choses ». En attendant les trois journées fatidiques (qui auront lieu en mars, en juin et en décembre), le gouvernement pourrait tenir les Canadiens au courant de la situation en prenant les mesures suivantes :

·    demander au directeur parlementaire du budget d’indiquer au Parlement ce qu’il considère comme un ensemble raisonnable d’indicateurs de mise en œuvre;
·    discuter avec la vérificatrice générale des critères d’évaluation qu’il conviendrait d’adopter en pareilles circonstances;
·    demander conseil à des spécialistes de l’évaluation (M. Harper a l’habitude de mettre sur pied un comité consultatif lorsqu’il est confronté à une décision difficile).

La promesse de Michael Ignatieff d’obliger le gouvernement à rendre compte de sa capacité de mettre en œuvre le budget constitue pour le Canada une occasion unique de réaliser des progrès en matière de mesure du rendement et d’optimisation des ressources.

David Zussman est titulaire de la Chaire Jarislowsky de gestion dans le secteur public à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’École de gestion Telfer de l’Université d’Ottawa (dzussman@uottawa.ca).