David P. Norton est le cocréateur, avec Robert Kaplan, du Tableau de bord prospectif, un outil permettant de lier les opérations courantes d’un organisme à sa mission à long terme. Les coauteurs estiment que les mesures de nature financière et la responsabilisation ne sont pas suffisantes pour piloter le changement, et qu’un système de mesure et de gestion de la performance doit être mis en place pour y arriver. M. Norton s’est entretenu avec Paul Crookall, notre rédacteur en chef.


La Société canadienne du sang (SCS) semble avoir fait bon usage du Tableau de bord prospectif (TBP).

La SCS a exécuté sa stratégie de façon exemplaire. Le TBP l’a aidée à clarifier sa nouvelle mission, à définir la stratégie à adopter pour la réussir et à faire de cette stratégie le point central de tout l’organisme. Les résultats obtenus témoignent avec éloquence de l’efficacité dont l’organisme a fait preuve.

Henry Mintzberg a dit que le principal problème dans le secteur public était l’absence de lien entre les activités et la stratégie : les politiciens et les bonzes de la fonction publique élaborent la législation, mais il n’y a pas de boucle de rétroaction qui les lie à ce qui se passe sur le terrain. La stratégie se retrouve donc cristallisée dans la législation avant qu’on ait pu la roder. Comment le Tableau de bord prospectif peut-il aider à régler ce problème?

La méthode du Tableau de bord prospectif (TBP) s’appuie avant tout sur une technique appelée la « cartographie des stratégies ». Nous partons du point de vue qu’il est impossible de mesurer ce que l’on ne peut décrire. L’exécution de la stratégie passe donc d’abord par sa description. C’est là le rôle d’une carte de la stratégie. La carte est une représentation logique de a) l’objectif des parties prenantes, b) la proposition de valeur pour les clients, c) les processus nécessaires pour réaliser ces objectifs et d) les compétences et la technologie nécessaires pour appuyer ces processus. Prenons l’exemple de l’American Diabetes Association. Sa mission est de prévenir et guérir le diabète, et d’améliorer la vie des personnes qui en sont atteintes. Cela signifie que : a) les intervenants comprennent les instances de direction et de financement; b) les « clients » sont les personnes atteintes du diabète – l’amélioration de leur qualité de la vie pourrait donc constituer un objectif pour ce groupe; c) « réduire le temps d’attente pour un hémodialyseur » pourrait être un objectif du processus opérationnel mis en œuvre pour répondre aux besoins des clients et d) la réduction du temps d’attente pourrait nécessiter de nouvelles compétences et de nouvelles technologies. Le recours à la logique et à la discipline d’une carte de la stratégie aide à faire le lien entre la stratégie et les activités.

Je n’ai jamais aimé l’approche de la « plate-forme en feu » que préconise Kotter lorsqu’il envisage le changement. Il s’agit pour vous de décrire ce qu’il nous manque pour arriver là où nous souhaitons aller, et de définir la stratégie nécessaire pour combler ce fossé. Les organismes du secteur public sont à mon sens beaucoup plus efficaces lorsqu’ils ont recours à un modèle du changement auquel tout le monde adhère.

La prémisse de John Kotter est qu’un organisme doit reconnaître la nécessité du changement avant d’y souscrire. Il parle de « plate-forme en feu » par euphémisme pour exprimer l’insatisfaction que suscite le statu quo. Malheureusement, l’expression sert maintenant à désigner les organismes qui courent à l’échec (comme le laisse entendre l’appellation anglaise, burning platform, littéralement « plate-forme en feu »). Or, les organismes qui réussissent bien ont de toute évidence eux aussi besoin de changer. Ils ont eux aussi besoin de reconnaître la nécessité du changement pour l’accepter.

Pour concrétiser le besoin de changement, nous parlons d’« écart de performance ». Prenez par exemple la vision énoncée par l’Université de Leeds, un établissement d’enseignement supérieur du Royaume-Uni : « D’ici 2015, notre capacité unique d’intégrer des recherches, l’érudition et un enseignement de calibre mondial nous aura permis de nous hisser parmi les 50 meilleures universités au monde ».

Au lieu de dresser la liste des « menaces », Leeds s’est donné comme objectif d’être parmi les 50 meilleurs. Elle fait actuellement partie des 100 meilleurs. Il y a donc un écart de performance à combler. L’objectif de se retrouver parmi les 50 meilleures universités au monde a été reçu avec beaucoup d’enthousiasme par les membres de l’institution. Celle-ci a accouché d’un plan visant à combler cet écart d’ici 2015. L’organisation a implicitement accepté le besoin de changement.

Parlez-nous de quelques-uns des problèmes qui peuvent survenir lors de la mise en œuvre d’un système de gestion de la performance.

Le plus important pour la réussite d’un système de gestion de la performance est que la direction de l’organisme se l’approprie et l’utilise. Le terme « gestion de la performance » est en général bien mal compris. Demandez à des cadres de vous décrire comment ils perçoivent la gestion de la performance et vous verrez combien cette question déconcerte. Or, la gestion de la performance – qui fait entre autres appel à la stratégie, à la planification, à la budgétisation, à l’établissement d’objectifs, à la production de rapports et à des examens – est un système intégré que tous utilisent. Le concept devrait être mieux compris dans l’ensemble de l’organisme qui le met en application.

Il existe un nombre relativement restreint d’approches complètes de la gestion de la performance. Parmi celles-ci, mentionnons la Gestion de la qualité totale, l’Approche valeur, la Planification financière, la Gestion par objectifs et le Tableau de bord prospectif. Seul le Tableau de bord prospectif permet d’établir un lien avec la stratégie de l’organisation et d’intégrer chacune des autres approches en un seul système vraiment complet.

Des organismes comme la Société canadienne du sang ont commencé à acquérir une compétence de base en ce qui a trait à la gestion de la stratégie. Ils ont assimilé différentes approches de la gestion de la performance et ont mis au point un système qui fonctionne bien pour eux. Ils ont élevé la gestion de la performance au rang de science. Tous les organismes peuvent faire de même.