Il y a dix ans, la Société canadienne du sang (SCS) prenait les rênes d’un organisme en pleine déroute à la suite d’une sombre affaire de sang contaminé. Après dix années de transformation, et l’adoption de la méthode de gestion dite du tableau de bord prospectif, la SCS est entrée au panthéon de la Balanced Scorecard Collaborative – un organisme créé par Robert Kaplan et David Norton. Dernièrement, la Société a également remporté le prix d’excellence en gouvernance du Conference Board du Canada pour son « engagement à l’égard de la mesure du rendement et de la gestion stratégique ».

En tant que vice-présidente à la gestion de la stratégie, Sophie de Villers guide la SCS dans ses choix de méthodes de gestion du rendement et est responsable de la mise en œuvre de la méthode du tableau de bord prospectif. Faisant partie de la direction de l’organisme depuis sa création en 1998, elle dirige le groupe des communications internes, qui contribue à traduire la stratégie en pratiques concrètes et à instaurer une culture axée sur la stratégie. Le rédacteur en chef Paul Crookall s’est entretenu avec elle.

Parlez-nous de la métamorphose.

Il y a dix ans, quand nous avons commencé, nous étions en mode de gestion de crise. Nous avions perdu la confiance des gens. Nous devions stabiliser l’organisme et rassurer nos intervenants et le personnel, et ce, tout en apprenant les rouages de l’organisation.

Après un certain temps, nous avons compris que nous devions, au-delà de la gestion de la crise, chercher à mettre en place un meilleur système d’approvisionnement en sang pour les Canadiennes et les Canadiens. Nous devions nous fixer des objectifs et établir un plan pour y parvenir. Toutefois, avant même que nous ayons rétabli la situation, le virus du Nil occidental nous a replongés en mode de crise. Nous devions élaborer rapidement un test de dépistage, ce sur quoi nous avons concentré tous nos efforts.

Mais nous savions qu’il fallait trouver un moyen de gérer les questions opérationnelles tout en allant de l’avant et en mettant en œuvre notre stratégie. Nous nous sommes donc tournés vers un système de gestion adapté à nos besoins. Certains considèrent le tableau de bord prospectif comme un système de mesure du rendement; pour nous, il s’agit d’un système qui répond à nos besoins et qui nous permet de gérer notre stratégie.

Comment cela s’est-il passé?

Nous avons changé notre façon de gérer. Nous sommes beaucoup plus conscients des décisions que nous prenons quotidiennement et de leur conformité à notre stratégie globale, au lieu de voir les opérations comme le moteur de l’organisme et la stratégie comme un concept abstrait dont nous discutons lors de nos réunions. Nous avons intégré notre stratégie à nos opérations, et c’est ce qui fait la différence.

La mesure et la gestion du rendement font partie du système, ce qui fait que la gestion se fonde beaucoup plus sur la lecture des données que sur l’opinion ou l’intuition des gens. Le système nous a apporté plus de rigueur et de discipline dans notre façon de gérer. Les organismes financés par l’État cherchent souvent à trop en faire. Le tableau de bord prospectif nous oblige à nous concentrer sur ce que nous devons accomplir.

Certains organismes, après avoir utilisé un système de gestion du rendement pendant une longue période, se reposent sur leurs lauriers et croient pouvoir se passer dudit système. Vos employés sont-ils toujours aussi enthousiastes à l’égard du tableau de bord prospectif?

Nous en sommes à la troisième génération de tableau de bord, et nous venons tout juste de recevoir un nouveau mandat, celui de gérer les dons de tissus et d’organes. Nous devrons donc modifier et mettre à jour notre stratégie en conséquence. Nos discussions avec le personnel de première ligne ne portent pas sur l’outil (le tableau de bord), mais sur la gestion du rendement et l’intégration de la stratégie aux opérations.

Selon vous, les problèmes rencontrés durant les années 1980 et 1990 étaient-ils d’ordre systémique ou humain?

 
Le problème relevait du système tout entier. À mon avis, le rapport Krever est l’un des documents qui exposent le mieux les failles du système de santé publique, et les leçons à en tirer au sujet du système d’approvisionnement en sang peuvent s’appliquer à bon nombre d’autres systèmes. Parmi les problèmes relevés, il y avait le manque de confiance au niveau politique, ainsi que le manque de financement et de responsabilisation au niveau organisationnel – le système présentait des lacunes à bien des niveaux.

Lorsque la Société canadienne du sang a pris la relève, une nouvelle équipe de direction est arrivée, mais le personnel et les fonctions de l’ancien organisme sont demeurés les mêmes. Nous avons vite constaté qu’il y avait là beaucoup de gens qui travaillaient très fort et qu’ils étaient extrêmement dévoués.

Aviez-vous une stratégie de gestion du changement?

Au tout début, nous avions un bureau de transition. Après la phase initiale, nous avons évalué l’organisation dont nous avions hérité et déterminé ce que nous voulions accomplir. Nous nous sommes fixés plusieurs objectifs, et le tableau de bord prospectif est devenu l’outil qui nous a aidé à mettre en œuvre notre stratégie. Nous voulions vraiment changer l’organisation afin qu’elle parte sur de nouvelles bases. Nous avons appelé ce processus notre « métamorphose ». Il s’agissait d’une stratégie de changement en profondeur.

Que pensez-vous du point de vue de John Kotter, qui affirme que pour effectuer un changement, il faut créer un sentiment d’urgence?

L’absence d’un sentiment d’urgence complique la gestion du changement, et c’est l’un des défis auxquels nous avons dû faire face lors de la mise en œuvre. Quand nous avons pris les rênes, nous étions en période de crise; nous avons donc pu démontrer assez facilement qu’il fallait absolument transformer le système. En dix ans, nous avons connu beaucoup de succès. Nous avons corrigé bon nombre de choses, et nous avons stabilisé un système qui ne fonctionnait plus. Nous pensons qu’il est nécessaire de continuer d’améliorer le système, mais c’est beaucoup plus difficile de promouvoir le changement lorsqu’il n’y a pas d’urgence.

Les employés se lassent d’être constamment en situation de transformation. C’est pourquoi il est important de célébrer nos réalisations en cours de route. Je crois que la gestion du changement est plus qu’un événement ponctuel. C’est un processus continu qui permet de gérer la mise en œuvre d’une stratégie.

Nous avons mis sur pied des comités de rendement organisationnel qui se réunissent tous les mois pour examiner comment se déroule la mise en œuvre de notre stratégie; notre approche est donc très explicite et très rigoureuse. Il s’agit d’une composante essentielle de notre système de gestion; autrement, on en vient à négliger la stratégie, car il y a toujours quelque chose de plus urgent à faire, et l’on finit par ne gérer que des crises. Je crois aussi qu’il est très important d’avoir une personne chargée de s’occuper de la gestion de la stratégie afin de ne pas perdre de vue la stratégie globale.

Mon rôle consiste à me tenir à l’écart de la gestion des crises tout en m’assurant que, même en période de tourmente, les décisions prises correspondent à notre stratégie, en vue de tirer parti de toutes les occasions de la faire évoluer.

Comment les gens vous accueillent-ils da